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Parents, écrans, enfants

Par Michael Stora, psychologue et psychanalyste

« Toutes les études montrent que les écrans non interactifs (télévision et DVD) devant lequel le bébé est passif,
n’ont aucun effet positif, mais qu’ils peuvent au contraire avoir des effets négatifs : prise de poids, retard de langage, déficit de concentration et d’attention, risque d’adopter une attitude passive face au monde. Les parents doivent être informés de ces dangers (…) »
Voici l’une des nombreuses recommandations émises par Serge Tisseron, psychiatre, et Olivier Houdé, professeur de psychologie, auteurs d’un rapport intitulé « L’enfant et les écrans », remis à l’Académie des sciences en 2013. Pour mémoire, Serge Tisseron s’est prononcé pour l’interdiction de la télévision avant 3 ans, des jeux vidéo avant 6 ans, d’Internet avant 9 ans et des réseaux sociaux avant 12 ans.

Le philosophe Michel Foucault qualifiait les « psys » de nouveaux prêtres. Quelques décennies plus tard, certains de ces professionnels ont grimpé dans la hiérarchie catholique – mais surtout cathodique – pour se faire les papes de ce qu’il est bon de faire et de ne pas faire. Et – religion oblige – pour jeter l’anathème sur ces parents qui laisseraient leur enfant
trop longtemps devant des écrans passifs. Quelques années avant ce rapport académique, une pétition signée par d’éminents « psys » et pédopsychiatres circulait afin d’interdire les chaînes de télévision conçues spécifiquement pour les tout-petits. L’initiative a de quoi surprendre de la part de psychanalystes qui, en signant un tel texte ou en remettant un tel rapport, se situent du côté de l’interdit. Ces professionnels s’instituent en surmoi, ou pire en idéal du moi.

Comme si, au 19e siècle, Sigmund Freud avait signé une pétition avec d’autres professionnels afin qu’une partie du public n’ait pas accès à « L’origine du monde », l’oeuvre de Gustave Courbet, conspuée par la morale bourgeoise ! Certes, la société, et plus précisément les médias, ont besoin de réponses simples à des questions complexes, mais est-ce une raison suffisante pour que les professionnels acceptent de jouer le jeu ? Et se fassent censeurs et accusateurs ? En effet, en pointant les parents du doigt, comme ne devant pas laisser leurs enfants devant la télé, on stigmatise un peu plus les
mères. Dans un autre domaine, d’autres psys, en leur temps, les avaient déjà accusées de l’autisme de leurs enfants. Cette fois-ci, à trop regarder la télé et à laisser leurs tout-petits en faire autant, les voici responsables de leur obésité et de leurs mauvais résultats scolaires. À force de diaboliser les écrans, que ce soient la télévision, les tablettes, l’ordinateur, le portable, et leurs usages, on en vient à oublier le contexte dans lequel ils voient le jour et ce qu’ils viennent révéler de situations qui existaient bien avant leur commercialisation. Mais il vaut mieux le savoir : la tablette tactile préférée d’un
bébé et d’un tout-jeune enfant, c’est le corps de sa maman. L’image animée qu’il préfère ? Son visage. La tablette ne peut pas devenir la nouvelle nurse digitale car un bébé n’investit un objet qu’à la condition qu’il soit partagé. Autrement dit, jouer sur une tablette avec sa maman, regarder ensemble la même image, échanger un regard complice et rire en coeur en entendant une sonnerie bizarroïde, crée du lien et de la relation. L’objet possède alors des vertus proprement thérapeutiques, car il crée la complicité entre la mère (ou le père) et l’enfant, il valorise ce dernier. L’attention conjointe, l’échange de regards complices après avoir vu la même image sont constitutifs sur le plan psychique.

En conclusion, je ne peux que prôner le partage des écrans qui souvent amène à en faire moins un objet de transgression et donc de convoitise.